La baisse des taux d’intérêt offre une prime aux prédateurs

L’économiste Pascal Perez décrit, dans une tribune au « Monde », le mécanisme qui enrichit fabuleusement les actionnaires des entreprises surendettées. Il appelle à moraliser ces pratiques.

 

La presse financière a récemment rapporté le colossal bénéfice que se sont partagé les dirigeants du fonds d’investissement californien Hellman & Friedman, propriétaire de Verisure, une grosse PME européenne connue pour installer des alarmes.

Hellman & Friedman a en effet réussi à soutirer à Verisure 1,6 milliard d’euros en janvier 2021 – il est d’usage que les dirigeants de sociétés financières gardent pour eux les plus-values réalisées. Au total, Hellman & Friedman a extrait depuis 2015 trois milliards d’euros. Et Verisure, notée CCC par les agences de notation comme une entreprise exposée à la faillite, est restée endettée.

Vampirisation

Le mécanisme de cette vampirisation est simple. La forte baisse des taux d’intérêt menée depuis des années par la Banque centrale européenne (BCE) pour inciter les entreprises à investir et à relancer l’économie, a créé un fabuleux effet d’aubaine pour les actionnaires d’entreprises endettées. L’économie de frais financiers sur la durée d’un emprunt leur est en effet payée en une seule fois par l’entreprise. Les plus gros versements proviennent d’entreprises surendettées au moment de l’achat par leur nouveau propriétaire.

La toxicité du procédé est connue. La raison d’être de l’entreprise surendettée est alors réduite au remboursement de la dette qui a servi à son acquisition

La baisse des taux d’intérêt offre donc une prime aux prédateurs d’entreprises. Ces prédateurs dépendent des banques et des avocats pour remplacer les anciennes dettes par de nouvelles. En échange, ils leur versent des milliards d’euros de commissions.

Chaque année en France, deux cents entreprises sont ainsi rachetées par des financiers qui les accablent de lourdes dettes pour les payer. La toxicité du procédé est connue. La raison d’être de l’entreprise surendettée est alors réduite au remboursement de la dette qui a servi à son acquisition.

L’injection de 100 milliards d’euros par mois dans le système bancaire en 2021 et 2022 par la BCE va encore faire baisser les taux. La vague de faillites qui se forme à l’horizon va finir en centaines de milliers de rééchelonnements de dettes au profit des banques.

Complaisance

Il est temps de moraliser ces pratiques. L’affectation d’un profit financier issu de la baisse des taux d’intérêt ne devrait pas être du seul ressort des actionnaires. Un partage équitable des bénéfices de cette baisse devrait être encouragé. En France, une baisse de 1 % des frais financiers représente 20 milliards d’euros par an qui pourraient être transformés en investissements, en hausse de salaires, en amélioration du service rendu aux clients et en soutien aux partenaires de l’entreprise – écoles, territoires, environnement.

Mais les gouvernements et la BCE paraissent bien complaisants à l’égard des prédateurs d’entreprises, alors même que ces pratiques vont à l’encontre des objectifs de leurs politiques économiques et monétaires. Cette complaisance s’étend aussi aux banques qui financent ces fonds, alors que des centaines de milliers d’entrepreneurs et de particuliers n’ont plus accès aux financements bancaires. Les mêmes banques qui renouvellent de bon cœur les emprunts de la PME surendettée appartenant à une société financière exigent du patron de TPE ou du travailleur indépendant un apport de fonds propres contre un peu d’oxygène.

Comment la population peut-elle accepter l’essor simultané de la misère et l’enrichissement cynique d’une minorité ? Pour transformer la monnaie créée par la Banque centrale en robots dans l’industrie ou en pouvoir d’achat pour les ménages, ne serait-il pas plus efficace d’accorder des financements plus directs ?

Depuis cinquante ans, les profits explosent mais la fiscalité des opérateurs financiers ressemble toujours à une passoire. Les gouvernements n’ont que trop tardé à contenir la ploutocratie. Ils doivent reprendre d’une main ce que la politique monétaire de la BCE jette aveuglément de l’autre.

Précédent
Précédent

Tendances globales, conséquences locales.

Suivant
Suivant

Vive les tartarins du papier à Tarascon !